Paysages urbains et phronosis. Le Complexe environnemental de Saint-Michel (Montréal)
Paysages urbains et phronosis. Le Complexe environnemental de Saint-Michel (Montréal)
Compte-rendu de la promenade commentée du mercredi 25 novembre 2015
Cette sortie sur le terrain s’inscrit dans le cadre de la démarche d’ouverture pluridisciplinaire que le centre de recherche en éthique développe depuis plusieurs années. Organisé pour les chercheurs postdoctoraux, les professeurs invités et les professeurs en poste du CRÉ, ce déplacement a eu pour objectif de présenter les méthodes de l’analyse géographique et de mettre en valeur les apports de la philosophie politique et de l’éthique environnementale. Ces dernières peuvent éclairer les débats sur la construction des territoires métropolitains. Quelles sont les implications matérielles des principes normatifs qui entrent en jeu lors de la prise de décision ?
Le projet a remporté un franc succès. Il a rassemblé deux post-doctorantes (dont l’organisatrice) et une chercheuse du Centre de Recherche en Éthique ainsi que deux doctorantes en philosophie et quatre étudiantes de premier cycle de géographie. Malgré les températures automnales, le soleil était au rendez-vous Les bonnes conditions météorologiques ont donc permis au scenario prévu de se dérouler correctement. Nous avons arpenté à pied et en transport collectif le contour du Complexe Environnemental de Saint-Michel, ancien dépotoir fermé à la fin des années 2000 et peu à peu transformé en parc métropolitain.
La réflexion sur deux notions centrales de la géographie et de l’éthique, le paysage d’une part, et la phronosis, d’autre part, ont guidé l’ensemble de la visite. L’introduction à la promenade commentée a été l’occasion de donner des éléments de contexte. Les enjeux territoriaux, environnementaux, sociaux, économiques du site ont été abordés. La complexité et les dynamiques du lieu ont été repérées, tout comme les pratiques du recyclage urbain comme paradigme de la durabilité. Le concept aristotélicien de la phronosis, ou sagesse pratique, est utile pour comprendre les inflexions de l’action publique territoriale sur le temps long et moyen. Dans un monde incertain, elles supposent la mise en jeu de valeurs prudentielles individuelles et collectives portant sur la santé publique et la qualité de vie face au risque sociotechnique.
Ce dernier est multiple. Comme le parcours traverse un îlot résidentiel de Saint-Michel, les participantes peuvent vérifier la proximité entre les logements et l’ancien site de la décharge et carrière (nuisances diverses, risques liés aux explosions). Dans les années 1980, la souffrance des habitants devient un levier de l’action publique territoriale. Les organisations communautaires qui revendiquaient la fermeture du site attirent l’attention de la mairie de Montréal, puis du ministère de l’environnement provincial en suggérant l’injustice environnementale. Un processus de redéfinition de l’usage des sols de la carrière et décharge débute alors dans les années 1990.
Nous observons les nouveaux aménagements en cours de construction. Ils témoignent d’une actualisation des valeurs associées au site : de technique et nuisible, il devient récréatif, public et vert. La fin de la promenade s’achève par la traversée du lieu de compostage des feuilles, le contournement du centre de tri sélectif, et de la station de production d’électricité (aujourd’hui fermée). Plusieurs points de discussion sont soulevés au cours de la promenade : le foncier dans la métropole, l’extraction et la combustion de méthane produit par les déchets, la redéfinition du sens et de l’importance des nuisances avec le changement de vocation du site, etc. Ils ont donné lieu à des débats ultérieurs et à l’ouverture d’une discussion sur le déroulement des controverses socio-environnementales, la gentrification et la construction de l’action communautaire.
Photo: Carré, avril 2015.