Les rédacteurices de la revue Philosophy & Public Affairs remettent leur démission et lancent une nouvelle revue en libre accès diamant
En réponse aux questions de Ryan Quinn pour Inside Higher Ed, Arash Abizadeh (McGill) commente la décision des rédacteurices de la revue Philosophy & Public Affairs de remettre leur démission et de fonder une nouvelle revue en accès libre diamant. Selon Abizadeh, ce modèle est préférable au modèle actuel pour des disciplines comme la science politique, la théorie politique ou la philosophie politique. Seulement, ajoute-t-il, changer de modèle est difficile et exige que les principaux acteurs du milieu agissent collectivement.
Sur les réseaux sociaux, Abizadeh partage ses réflexions:
« Depuis longtemps maintenant, des revues universitaires sont rachetées par des maisons d’édition dont l’objectif est de s’enrichir. Ces éditeurs recourent ensuite à des paywalls pour contrôler l’accès à ces revues, accès qu’ils vendent aux bibliothèques à des prix exorbitants. Ce sont les chercheur.ses universitaires qui font tout le travail : la recherche, l’écriture, l’évaluation par les pairs et le travail éditorial. Une grande partie de ce travail est en outre financée par des fonds publics. Néanmoins, les entreprises d’édition à but lucratif revendent ensuite ce travail à ceux-là même qui l’ont effectué et empêchent tous les autres d’en bénéficier. Non, ces entreprises ne paient pas les auteurices des articles ; au contraire, elles exigent souvent même des auteurices – et pas seulement des lecteurices – qu’iels payent pour faire publier leur propre travail ! Si cela ressemble à un cartel, c’est que c’en est un.
Plus récemment, ces éditeurs à but lucratif se sont tournés vers ce qu’ils appellent le “libre accès”, une formule où toute personne connectée à Internet peut lire les articles publiés de cette manière. Or, cela n’est offert que lorsque les auteurices leur paient beaucoup d’argent – des milliers de dollars – pour que leur travail soit accessible gratuitement. D’où provient cet argent? Des organismes de financement de la recherche et des universités, eleux-mêmes souvent financé.es par des fonds publics. En offrant aux auteurices de publier leur travail en soit-disant « libre accès » et en mettant de la pression sur les comités de rédaction des revues pour qu’ils publient autant d’articles que possible, ces éditeurs peuvent faire encore plus de profits. Cette pratique a eu pour effet d’éroder l’indépendance éditoriale universitaire et d’encourager les rédacteurs à diminuer, voire même à abandonner, les contrôles de qualité des articles qui leur sont soumis. En a résulté une prolifération de revues médiocres, qui publient de la fausse recherche.
Il existe heureusement une alternative à ce modèle : les revues en libre accès diamant publiées sans frais pour les auteurices, les rédacteurices ou les lecteurices, et financées par un consortium de bibliothèques et d’universités à un coût bien moindre ! Depuis des années, les bibliothécaires implorent les universitaires d’adopter ce modèle. Pourquoi ne l’avons-nous toujours pas fait ? Parce que nous sommes confrontés à un énorme problème d’action collective : nous sommes coincés dans un équilibre très sous-optimal. En tant qu’individus, notre avancement professionnel dépend souvent de nos publications dans des revues reconnues, ayant une réputation et un prestige établis. Et ces revues sont souvent détenues par des éditeurs commerciaux. Les collègues ne peuvent souvent pas se permettre de prendre des risques en soumettant leurs articles à de nouvelles revues n’ayant pas encore fait leurs preuves. En tant que rédacteurices de l’une des principales revues dans notre domaine, nous avons ressenti la responsabilité de contribuer à déplacer la discipline vers un meilleur modèle.
Nous avons donc démissionné pour lancer une nouvelle revue en libre accès diamant. Vous pouvez lire notre déclaration publique officielle ici.