Le statut juridique des animaux
Dossier préparé par Valéry Giroux.
Dans le Code civil du Québec, le monde est divisé en deux catégories : celle des personnes et celle des biens. Jusqu’à tout récemment, les animaux étaient tout simplement considérés comme des biens, soumis au régime de propriété. Or, un grand nombre de citoyen.ne.s québécois.es déplorent le fait que le statut juridique des animaux les assimile à de simples choses.
Inspirés par une initiative française comparable, Sophie Gaillard (avocate à la Société de prévention de la cruauté envers les animaux de Montréal), Élise Desaulniers (auteure en éthique alimentaire) et Martin Gibert (chercheur en éthique de l’intelligence artificielle au CRÉ), lançaient en 2013 un Manifeste pour une évolution du statut juridique des animaux dans le Code civil du Québec. Ils demandaient que le statut juridique des animaux sensibles soit modifié afin que ces animaux ne soient plus considérés comme des biens. Ce Manifeste a été signé par plusieurs chercheurs du CRÉ, dont Michel Seymour, Christian Nadeau, Ryoa Chung et Christine Tappolet, ainsi que par 52 000 autres citoyen.ne.s du Québec.
Dans un article intitulé Droit des animaux: pourquoi un Manifeste? et paru dans Le Huffington Post, Martin Gibert exposait les raisons pour lesquelles il a pris part à ce projet. Lors de l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada, Michel Seymour et Me Sophie Gaillard expliquaient à leur tour pourquoi ils appuyaient un changement de statut pour les animaux.
Trois chercheurs ont ensuite réagi à la médiatisation du Manifeste en publiant une lettre ouverte parue dans le journal Le Devoir. Frédéric Côté-Boudreau (qui a complété une maîtrise de philosophie sur la question animale sous la direction de Christian Nadeau), Valéry Giroux (coordonnatrice du CRÉ et docteure en philosophie dont la thèse de doctorat dirigée par Christine Tappolet portait sur l’éthique animale) et Jean-Philippe Royer (candidat au doctorat travaillant sur la justice animale sous la direction de Michel Seymour et coordonnateur de la revue Les ateliers de l’éthique/The Ethics Forum), ont exprimé leur opposition à la création d’une troisième catégorie juridique pour les êtres sensibles. Ils disaient douter qu’une telle mesure permette de protéger efficacement les animaux. Dans le but d’appuyer la position prise dans la lettre ouverte et d’étayer les raisons que nous avons d’exiger l’attribution du statut juridique de personne à tous les animaux sensibles, Valéry Giroux proposait ensuite le court texte suivant: Les animaux ne sont pas des choses. Que sont-ils, alors?.
En juin 2015, le Ministre Pierre Paradis déposait un projet de loi (le projet de loi 54), qui visait à améliorer la situation juridique des animaux au Québec en reconnaissant leur sensibilité et en déclarant qu’ils ne sont pas des biens. En réaction au dépôt de ce projet de loi, Valéry Giroux accordait une courte entrevue à La Tribune. Avec Frédéric Côté-Boudreau, elle soumettait également un mémoire à l’occasion de la consultation publique lancée en septembre 2015 suite du dépôt du projet de loi.
Le projet de loi 54 a été adopté en décembre 2015. Depuis, des tables rondes sont organisées afin de mieux percer le paradoxe créé par l’article 898.1. qui se lit comme suit: « Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code relatives aux biens leur sont néanmoins applicables. » Dans un livre (le livre IV) sur les biens, sont dorénavant incluses des dispositions concernant des entités qui ne sont plus considérées comme des biens, mais auxquelles les dispositions sur les biens continuent de s’appliquer! Pour jeter un éclairage sur cette construction surprenante, une table ronde animée par Daniel Weinstock et à laquelle Gaële Gidrol-Mistral prenait part était tenue à McGill. Une autre, animée par Valéry Giroux, était organisée par le Barreau du Québec.
Pour en savoir plus sur les enjeux entourant la modification du statut juridique de l’animal, les lectures suivantes peuvent être utiles:
Adams, Wendy, « Human Subjects And Animal Objects: Animals As « Other » In Law » (2009) 3 Journal of Animal Law & Ethics, 29-51
Antoine, Suzanne, Le droit de l’animal, Legis France, Paris, 2007
Brunois, Albert, « L’animal sujet de droit », dans Les droits de l’animal et la pensée contemporaine, Paris, Ligue Française des Droits de l’Animal, 1984, p. 41
Coulon, Jean-Marie et Jean-Claude Nouët, Les droits de l’animal, Dalloz-Sirey, Paris, 2009
Desmoulin-Canselier, Sonia, « Quel droit pour les animaux? Quel statut juridique pour l’animal? » (2009) 131 Pouvoirs 43-56
Deckha, Maneesha, « Property On The Borderline: A Comparative Analysis Of The Legal Status Of Animals In Canada And The United States » (2012) 20 (2) Cardozo Journal of International & Comparative Law, 313-365
Daigueperse, Caroline, « L’animal, sujet de droit, réalité de demain » (1981) Gazette du Palais, 1er sem., doctrine, 160-4
Favre, David, « Integrating Animal Interests Into Our Legal System » (2004) 10 Animal Law Review, 87-97
Favre, David, « Living Property: A New Status For Animals Within The Legal System » (2010) 93 Marquette Law Review, 1021-71
Feinberg, Joel, « The Rights of Animals and Future Generations » dans Rights, justice, and the bounds of Liberty, Princeton University Press, Princeton, 1980, pp.159-184.
Goyard-Fabre, Simone, « Sujet de droit et objet de droit: Défense de l’humanisme » (1992) 22 Cahiers de philosophie politique et juridique, 9-26
Hankin, Susan J., « Not A Living Room Sofa: Changing The Legal Status Of Companion Animals » (2007) 4 (2) Rutgers Journal of Law & Public Policy, 314-410
Kelch, Thomas G., « Toward A Non-Property Status For Animals » (1998) 6, N.Y.U. Environmental Law Journal, 531-85
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Marguénaud, Jean-Pierre, L’animal en droit privé, Limoge, Presses universitaires de France, 1992
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