Julie Doyon

Postes occupés

2007-2008 Boursier-ère d'études supérieures

Biographie

Lors de ses études au CRÉUM, Julie Doyon a approfondi la problématique suivante: Emprise et situation écologique de l’homme moderne : Savoir, pouvoir et destructivité

« Notre impact sur la biosphère est tellement profond et notre capacité à transformer la vie sera bientôt si grande, que le futur de la vie sur Terre dépend réellement de choix cruciaux de la part de notre espèce. » (Murray Gell-Mann, Le quark et le jaguar, 1994)

Résumé du projet de recherche:

Que l’activité humaine ait un impact déstabilisateur sur la biosphère, voilà qui n’est plus à débattre, les sciences naturelles ont fait leur travail, statistiques à l’appui. Mais pour ensuite éclairer ces « choix cruciaux » auxquels fait face l’homme moderne, ce sont maintenant les sciences humaines qu’il convient d’interroger, et de façon privilégiée la philosophie et la psychologie. Puiser dans chacun de ces deux domaines pour les enrichir mutuellement et pour instruire les enjeux moraux et psychiques de la dynamique écologique de l’homme moderne, c’est ce que la présente recherche se propose de faire, et ce, en s’intéressant plus spécifiquement au registre de l’emprise dans le rapport de l’homme moderne à la nature.

L’emprise dans le rapport de l’homme moderne à la nature
La prégnance du registre de l’emprise dans les réflexions sur le rapport de l’homme moderne à la nature est imposante. On parle abondamment (et souvent fièrement!) de l’unique capacité (et volonté!) de l’homme à opérer une mainmise sur la nature, à s’emparer d’elle, se l’approprier, la dominer, l’exploiter, la prendre et la comprendre, la saisir, la gouverner, la contrôler, etc., un discours qui fait écho autant à Descartes, qui posait l’homme en « maître et possesseur de la nature », qu’à Freud qui posait la domination de la nature comme la « première fonction de la civilisation, sa raison d’être ». Dans cet élan croissant, voire inarrêtable, vers le progrès, la science, la technique, la connaissance, etc., la transformation de la biosphère par l’activité humaine trace une voie qui menace non seulement la nature mais l’homme lui-même.

Comment comprendre ce rapport d’emprise de l’homme à l’environnement naturel? Qu’est-ce donc qui pousse l’homme dans cette dynamique écologique mortifère qui défie la raison et l’autoconservation, comment en infléchir la direction et/ou la vitesse, et même le peut-on? Voilà des questions qui ne sauraient être laissés aux seuls biologistes, et qui requièrent impérativement l’attention des sciences humaines. Et ce sont les deux champs de l’éthique et de la psychanalyse que la présente recherche se propose d’invoquer.

L’éthique environnementale : enjeux moraux
L’intérêt de la philosophie pour la question du rapport de l’homme à la Nature est très ancien, offrant déjà là une contribution inestimable pour la réflexion écologique contemporaine. Mais, de plus, on compte aujourd’hui une branche spécialisée de l’éthique appliquée, l’éthique environnementale, qui se consacre spécifiquement à cette question, en procédant à un examen critique des valeurs et idéologies impliquées dans la dynamique écologique mortifère de l’homme moderne (où est notamment dénoncé le rapport d’emprise de l’homme sur la nature) et dans les diverses façons de repenser ce rapport de l’homme à la nature. Le rapport d’emprise de l’homme sur la nature y est mis en opposition à un rapport d’alliance et d’harmonie avec la nature, divers courants proposant de simplement alléger légèrement notre emprise sur la nature par intérêt égoïste (écologisme superficiel), ou alors d’y renoncer radicalement (écologisme profond) pour plutôt accordée une valeur intrinsèque et supérieure à la nature (biocentrisme, écocentrisme) dans un idéal de nature vierge à protéger de ce qui la menace, la culture, l’artificialisation humaine.

L’éthique environnementale s’affiche donc comme un allié précieux en ce qui concerne les enjeux moraux du rapport de l’homme à la nature. Mais, derrière les valeurs, il y a encore un sujet qui valorise, et pour comprendre de quelles façons ces enjeux moraux entrent en résonance avec les enjeux psychiques de l’homme, l’apport de la psychologie devient indispensable, et encore plus spécifiquement celui de la psychanalyse.

La psychanalyse : enjeux psychiques
Au-delà des aspects manifestes du fonctionnement psychique humain, et en intrication avec eux, la psychanalyse a mis à jour et explicité les bases pulsionnelles inconscientes du psychisme. La psychanalyse offre donc une position unique et privilégiée pour éclairer les enjeux psychiques du rapport de l’homme à la nature, car dans cette dynamique écologique mortifère qui défie la raison et l’autoconservation (voire même la moralité!), on trouve les indices qui témoignent d’un processus qui apparaît soustrait au contrôle de l’homme, on trouve là la marque même du pulsionnel, sa nature immaîtrisable.

La question du rapport d’emprise de l’homme à la nature interpelle directement plusieurs concepts psychanalytiques, en particulier la pulsion d’emprise, ses liens avec les registres du savoir, du pouvoir et de la destructivité, et son intrication avec les enjeux narcissiques (narcissisme illimité, toute-puissance, omnipotence). Qui plus est, certains débats métapsychologiques anciens et actuels indiquent que ces concepts bénéficieraient tout autant d’un travail théorique que d’une application à la situation écologique. Aussi, curieusement, alors que la psychanalyse est applicable à l’ensemble des phénomènes humains (individuels et collectifs), et qu’elle s’y est appliquée!, elle est resté plutôt silencieuse en ce qui concerne le rapport de l’homme à l’environnement. Et ici, l’important travail entamé à ce sujet il y a longtemps par la philosophie et plus spécialement maintenant par l’éthique environnementale peut venir éclairer et stimuler la psychanalyse, l’invitant à regarder ce que le rapport de l’homme à la nature révèle du psychisme humain. Et enfin, certaines notions psychanalytiques sont aussi à explorer dans leur rapport avec des concepts fondamentaux de l’éthique, notamment investissement psychique et valeur, et Surmoi et moralité.

Objectifs et méthodes
Les méthodes pour cette recherche peuvent être résumées comme suit. Il s’agit, dans un premier temps, de faire un travail théorique sur les concepts psychanalytiques invoqués ci-haut (pulsion d’emprise etc.) par la méthode de travail théorique de Laplanche, laquelle permet d’appliquer les procédés de la cure psychanalytique (écoute et interprétation) à l’Oeuvre théorique psychanalytique afin d’en approfondir les concepts. Puis, dans une démarche dite de psychanalyse exploratrice, il s’agit ensuite d’explorer le champ de l’éthique environnementale avec un modèle psychanalytique du fonctionnement psychique humain. Enfin, il s’agit finalement de poursuivre ce mouvement de croisement qui entraîne à sa suite un travail de réflexion philosophique sur les grandes questions qui animent le champ de l’éthique environnementale, mais possiblement aussi sur certains concepts aux fondements de l’éthique.

L’objectif global de cette recherche est de croiser psychanalyse et éthique sur la question de l’emprise de l’homme moderne sur la nature. Un tel croisement peut déjà apporter des contributions significatives à chacun des domaines respectifs, mais, surtout, cette recherche vise à adjoindre les forces respectives des deux domaines afin d’éclairer les enjeux moraux et psychiques dans ces « choix cruciaux » auxquels fait face l’homme moderne dans son rapport à la nature.