Mélanie Deshaies

Postes occupés

2007-2008 Boursier-ère d'études supérieures,

Biographie

LOrs de son passage au CRÉUM, Mélanie Deshaies poursuivait ses études doctorales en cotutelle de thèse aux universités de Montréal et de Paris I Panthéon Sorbonne. Elle était également avocate et a pratiqué comme juriste associée à la Chambre d’appel des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. Son projet visait la compréhension du problème suivant: « La tension entre droit international pénal et droit international classique ou la possible existence d’une légalité internationale éthique ». Il était codirigé par les professeures Hélène Dumont et Mireille Delmas-Marty.

Projet de recherche

La recherche doctorale est de type analytique et fondamentale et essentiellement juridique bien qu’elle recoure à la philosophie. Son objectif est de comprendre le droit international pénal en tant qu’expérience normative. Traditionnellement, la théorie des sources du droit international oppose les volontaristes et les objectivistes selon que la norme juridique est conçue comme émanant de volontés étatiques ou de principes éthiques importants. Les querelles d’écoles sont longtemps demeurées confinées aux discussions abstraites sur les fondements du droit, mais vers l’année 2000, elles ont acquis une résonance concrète alors que des observateurs influents ont commencé à dénoncer le risque de fragmentation de l’ordre juridique international. Le projet de thèse s’inscrit dans cette réflexion en étudiant les processus d’engendrement du droit international pénal, qui s’est historiquement développé au croisement de régimes juridiques à forte connotation éthique comme le droit de la guerre, le droit international des droits de l’homme et les droits pénaux nationaux.

L’éthique envisagée par le projet s’entend de valeurs ou de prescriptions morales reconnaissables dans le droit et/ou promues par lui (l’éthique comme source du droit et/ou comme programmation morale ou politique (Dominicé, Dupuy)). En l’état actuel des travaux, la double hypothèse de l’éthique dans le droit et/ou par le droit est retenue comme une explication plausible de la spécificité du droit international pénal. Ces valeurs ou prescriptions morales s’harmonisent éventuellement à une théorie du droit, vraisemblablement d’inspiration naturaliste fondée sur la raison humaine. La sensibilité humaniste de ce droit se heurterait au modèle classique du droit international, qui est entièrement polarisé sur l’État, et lui serait en partie incompatible.

L’existence d’une tension entre le droit international pénal et le droit international classique a été évoquée notamment par Martti Koskenniemi (From Apology to Utopia). Ce juriste n’explique pas la nature de cette tension, mais des travaux en philosophie juridique suggèrent qu’elle pourrait procéder de la subordination, par le droit international pénal, des intérêts classiques des États à ceux d’une « humanité » formée par la collectivité des êtres humains pris individuellement (Luban, A Theory of Crimes against Humanity). C’est-à -dire qu’à la différence du droit international classique, pour qui la souveraineté étatique représente la seule justification possible, il se pourrait que le droit international pénal respecte une logique voulant que ce soient les intérêts de l’ « humanité » qui doivent recevoir préséance.

Un tel changement de paradigme serait particulièrement perceptible dans le domaine des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, lesquels surviennent généralement à l’intérieur des frontières étatiques et ne peuvent donc pas s’expliquer par la conception classique de l’internationalité. Les travaux de différents théoriciens (juristes ou philosophes tels May, Ratner, Abrams ou Bassiouni) permettent de supposer que l’internationalité des crimes internationaux pourrait résulter non seulement de considérations pratiques, comme lorsqu’il y a franchissement d’une frontière ou menace avérée à la paix internationale, mais également de considérations normatives, comme lorsqu’il est porté atteinte à une certaine conception de l’humanité, qui nous serait commune et donc universelle. La conformité ou non à ce « standard » d’humanité déterminerait la légalité ou illégalité internationale d’un comportement, pour ne pas dire sa moralité ou immoralité dans la perspective d’un droit d’inspiration éthique.

Le droit positif n’a pas encore attribué de signification à la notion d’humanité, préférant procéder par la négative en délimitant « l’inhumain », au moyen notamment du concept de « crimes contre l’humanité ». Le projet de thèse aborde la question du comment et du pourquoi ou en quoi les crimes contre l’humanité et le génocide, qui partagent un pedigree historique commun, portent atteinte à l’ « humanité ». Le critère juridique d’inhumanité renvoie-t-il en creux à une norme de bonne conduite étatique ou individuelle ? à une exigence de civilisation prémunissant contre la régression vers un monde barbarisé ? à un agencement de qualités, telle l’aptitude à compatir, qui nous rend « humain » ? ou à une caractéristique de genre qui nous distingue de l’a-moralité animale ? De telles questions sont abordées avec l’aide de la philosophie morale ou juridique dans le souci de vérifier si telle représentation de l’humanité est reflétée par le droit international pénal et s’harmonise éventuellement à une théorie du droit, que l’on suspecte d’inspiration naturaliste. À supposer que l’adéquation se vérifie, elle pourrait suggérer un changement sensible dans la manière dont la théorie des sources du droit international, et certains corollaires comme le principe de légalité, sont abordés théoriquement et en pratique, principalement dans les domaines du droit international pénal, des droits de l’homme et du droit international humanitaire (droit des conflits armés). (Résumé en date du 15 avril 2008).