Débats publics sur sujets sensibles : risques et défis
Appel de textes
Coordonnatrices
Naïma Hamrouni, département de philosophie et des arts, UQTR (Naima.Hamrouni@uqtr.ca) et Dominique Leydet, département de philosophie, UQAM (leydet.dominique@uqam.ca)
Présentation générale
Les théories contemporaines de la démocratie insistent sur l’importance de la délibération publique et de la participation citoyenne comme vecteurs de légitimité politique dans l’élaboration de politiques publiques et de lois. En principe, d’un point de vue démocratique, il semblerait que l’on doive toujours militer pour une plus grande participation du public aux grands débats qui agitent nos sociétés. Mais la question devient plus difficile lorsque l’on considère les risques de dérapages associés aux débats publics qui touchent à des sujets sensibles, qui divisent et polarisent la population. C’est pourtant dans de tels cas, lorsque s’affrontent des valeurs, des positions morales et des convictions profondes difficilement conciliables, que les gouvernements sont souvent tentés d’organiser des processus de consultation qui mobilisent la participation du public à travers différentes modalités.
Cette participation du public apparaît souvent comme un des temps forts de tels processus de consultation, puisqu’elle contribue à donner le ton au débat public général. Voilà aussi pourquoi elle constitue un exercice périlleux, dont les effets peuvent se faire longtemps sentir et affecter notre capacité à aborder et traiter les problèmes complexes auxquels nos sociétés font face.
Dans de tels contextes, il semble qu’il ne suffise pas d’en rester aux poncifs habituels concernant l’importance du débat public, mais qu’il faille évaluer les bénéfices potentiels que l’on peut espérer retirer de tels exercices (en termes d’information de la population, de maturation du débat public, de légitimité des décisions politiques, etc.) en regard des risques qui leur sont associés, tant du point de vue des groupes plus vulnérables que de la tonalité générale de l’espace public. On doit donc, d’une part, réfléchir aux finalités de tels processus, s’interroger sur leur justification d’un point de vue normatif, et, d’autre part, approfondir la réflexion sur leurs modalités : quelles sont les conditions qui permettent de favoriser leur « réussite » ?
On ne saurait répondre à de telles questions dans l’abstrait. La réflexion est nécessairement contextualisée. Ainsi, depuis 2007 le Québec a tenu trois importants exercices de consultation 2 publique sur des sujets sensibles touchant le vivre-ensemble en contexte de diversité : la Commission Bouchard-Taylor, les audiences publiques sur le projet de loi 60 (« Charte des valeurs ») et la Consultation sur la discrimination systémique et le racisme, laquelle a fait l’objet d’une intense polémique menant à une transformation également controversée. Ces trois processus ont été constitués de façon très différente, mais ils ont chaque fois laissé place à la participation du public selon des modalités diverses et souvent contestées. Lesjugements – quant à l’issue de ces débats (succès relatif ? échec ?) – restent eux aussi divisés, certains allant même jusqu’à juger qu’il aurait mieux fallu s’en abstenir, étant donné les « dommages collatéraux » subis par des membres de groupes vulnérables. Le débat actuel soulevé par le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État déposé le 28 mars dernier par le gouvernement québécois montre que ces questions sont loin d’être closes.
Ailleurs dans le monde, on compte également de nombreuses expériences de débats publics sur des sujets sensibles faisant intervenir, selon différentes modalités, la participation de citoyen.ne.s, du débat belge sur l’euthanasie de 1999-2002 au « Grand débat national » lancé par le président français Emmanuel Macron dans la foulée de la crise des « gilets jaunes ».
Nous souhaitons donc lancer une réflexion critique sur les conditions de possibilité d’un débat public réussi sur des enjeux sensibles, plus spécifiquement lorsque ceux-ci concernent des questions d’éthique publique entendue dans un sens large, par exemple : laïcité ; fin et début de vie (aide médicale à mourir, euthanasie, procréation médicale assistée, etc.) ; consentement sexuel ; débats liés à des enjeux environnementaux ; etc. Cette liste est non exhaustive puisque ce qui nous intéresse ce sont moins les thèmes débattus que les enjeux liés à la façon dont la participation du public est ou devrait être insérée dans des exercices de consultation devant mener à l’adoption par l’État d’une législation ou d’une politique publique. Nous nous intéressons donc à la participation du public comme médiation entre le débat politique formel et le débat « grand public », à la fois à ses finalités, à ses modalités et à ses effets.
Voici une liste non exhaustive d’enjeux et de questions qui pourraient être explorés par les personnes intéressées à participer au dossier thématique.
Sous-thèmes
Sous-thème 1 – Raisons d’être et finalités de la participation du public
- Quelles devraient être les finalités principales de la participation du public aux processus de consultation, notamment lorsque ceux-ci portent sur des sujets sensibles ? Qu’entendon par un débat réussi dans ce contexte ?
- Quelles sont les justifications de cette participation ? Pourquoi celle-ci devrait-elle être considérée comme préférable – ou comme un complément nécessaire- aux débats parlementaires ou encore à des débats à l’intérieur (ou entre) des corps organisés de la société civile (syndicats ; associations professionnelles, universités, etc.) ?
- Dans quelles circonstances et selon quelles considérations pourrait-il être justifié de renoncer à la tenue d’un tel exercice ?
Sous-thème 2 – Rapports entre la participation du public et les institutions politiques formelles
Comment penser l’insertion de cette participation du public dans le processus politique ? Cette question peut être traitée sous deux angles distincts :
- Premièrement, on peut s’interroger, de façon plus large, sur les rapports entre les processus de participation du public et la politique formelle, que ce soit par rapport au gouvernement – souvent le « donneur de charge » ultime du processus -, mais aussi visà-vis du débat politique partisan, particulièrement sollicité lorsqu’il est question d’un sujet « chaud ». Dit autrement, est-il possible d’éviter ou de minimiser l’instrumentalisation de la participation publique par les acteurs partisans et, si oui, comment ?
- Deuxièmement, on peut s’intéresser à la question de l’insertion de la participation du public dans le processus plus large de consultation. On s’interrogera alors sur le moment où doit idéalement s’inscrire cette participation du public dans le processus, ce qui devrait engager une réflexion plus fine sur les finalités de l’exercice : s’agit-il de favoriser un débat public informé et respectueux ou l’impact public/politique/médiatique de la participation ?
Sous-thème 3 – Les modalités de la participation du public
Quelles devraient être les modalités de la participation du public qui permettent de favoriser les échanges entre les participants et d’informer le public, selon les finalités visées par le processus ?
Répondre à cette question engage une réflexion préalable sur les différents modèles de participation du public : auditions dans le cadre d’une commission parlementaire et leurs équivalents ; processus délibératifs distincts (pensons aux différentes formes de « mini-publics » : sondages délibératifs, jurys citoyens, conférences de citoyens), etc.
Quel que soit le modèle choisi, on peut s’interroger sur les modalités de cette participation. Plus spécifiquement :
- Doit-il y avoir un filtre à l’entrée ? Si oui, de quel type ?
- Devrait-on penser sous des modes différenciés la participation des personnes vulnérables ou appartenant à des groupes minoritaires ?
- La participation doit-elle être toujours publique ou peut-on/doit-on aménager des moments de huis clos ?
- Quelle place donner aux médias, aux experts et aux groupes d’intérêt et de revendication ?
- Quel(s) résultat(s) viser ?
- Quelles mesures peuvent être prises pour contrer les effets des inégalités épistémiques ?
- Quelle éthique du dialogue permettrait de rehausser la qualité des échanges ?
Sous-thème 4 – Interactions entre les mécanismes de participation du public et le débat « grand public »Que peut-on dire sur la relation entre des mécanismes de participation publique spécifiques et le débat « grand public », soit celui qui a cours dans l’espace public au sens large ? Y a-t-il des 4 mécanismes qui assurent une plus grande ou meilleure circulation des idées, des enjeux, des arguments soulevés dans les espaces de débat public organisé dans l’espace public plus large ?
Plus spécifiquement :
- Comment penser l’interface entre le débat public organisé et le débat grand public ?
- Quel est le rôle des médias de masse, des réseaux sociaux, mais aussi des différents acteurs de la société civile (associations, syndicats, universités, etc.) à cet égard ?
- Y a-t-il des dispositifs de participation publique qui facilitent cette interface et d’autres qui peuvent lui nuire ?
Démarche qualité de la Revue
Avant publication, tout article fait obligatoirement l’objet d’une double évaluation par les pairs, lesquels évaluent son acceptabilité. En cas de controverse sur un article ou sur une partie d’un article, l’auteur est avisé et est invité à modifier son texte à la lumière des commentaires des évaluateurs. Le Comité de direction de la Revue peut refuser un article s’il ne répond pas aux normes minimales d’article scientifique ou s’il n’est pas lié à la thématique choisie.
Modalités de soumission
Les personnes désireuses de publier un article doivent faire parvenir une proposition d’article aux responsables du numéro. Les propositions d’article doivent compter de 150 à 200 mots.
Le Comité de direction de la Revue fera part de sa décision dans les quinze jours suivant la date limite de remise des propositions. Les auteurs dont la proposition aura été retenue pourront envoyer leur article complet. Les articles doivent compter environ 40 000 caractères et inclure un résumé (en français et en anglais), de même qu’une bibliographie complète (n’excédant pas trois pages).
Les articles complets remis seront ensuite soumis à une double évaluation par les pairs (le processus est anonyme). Après l’évaluation, des modifications peuvent être demandées aux auteurs si l’article est accepté.
Conditions de soumission
Les propositions de soumission, sous forme de résumés de 150 à 200 mots, doivent être envoyées d’ici le 30 juin 2019 à :
Naïma Hamrouni, département de philosophie et des arts, UQTR Naima.Hamrouni@uqtr.ca
Dominique Leydet, département de philosophie, UQAM leydet.dominique@uqam.ca
Revue Éthique publique ethiquepublique@enap.ca
Date limite pour remettre les textes : Novembre 2019
Parution prévue (en ligne, en libre accès immédiat) : Juin 2020 5
Comité scientifique
Catherine Audard (London School of Economics), Georges Azarria (Université Laval), Yves Boisvert (ENAP Montréal), Ryoa Chung (Université de Montréal), Speranta Dumitru (Université Paris-Descartes), Isabelle Fortier (ENAP Montréal), Jean Herman Guay (Université de Sherbrooke), André Lacroix (Université de Sherbrooke), Jeroen Maesschalck (University of Leuven), Ernest-Marie Mbonda (Université catholique d’Afrique Centrale à Yaoundé), Dominique Payette (Université Laval), Dany Rondeau (Université du Québec à Rimouski), Margaret Sommerville (Université McGill), Daniel Weinstock (Université McGill)