Farah Aïcha Gharbi

Positions held

2007-2008 Graduate fellow(s)

Biography

L’intermédialité littéraire dans quelques récits d’Assia Djebar

Résumé du projet:

Assia Djebar, écrivaine francophone du Maghreb, a excellé dans plusieurs formes d’expression écrite (roman, nouvelle, essai, théâtre et poésie). Cette auteure algérienne s’est également intéressée aux arts visuels et s’est distinguée en tant que cinéaste. Enfin, sa formation universitaire en histoire ne fait que confirmer le caractère pluridisciplinaire de son parcours professionnel. Certains récits de Djebar ont été marqués par ce cheminement. Ils racontent l’histoire des Algériennes auxquelles ils restituent une mémoire éclatée. Or cette mémoire tour à tour visuelle, sonore et scripturaire est fondue dans le moule d’un langage complexe où l’écrit entre sans cesse en relation avec d’autres médias, principalement avec la peinture et le cinéma.

Les textes de notre corpus témoignent de ce phénomène chacun à leur façon. D’abord, Femmes d’Alger (1980), qui emprunte son titre aux tableaux de Delacroix et de Picasso, entretient un dialogue avec les propositions picturales des deux peintres dont il offre une relecture et une réécriture. Situé entre deux films (Djebar a réalisé un premier long métrage intitulé La Nouba en 1978 et un deuxième titré La Zerda en 1982), Femmes d’Alger est aussi la conséquence d’un projet cinématographique qui n’a pu aboutir en 1980 et dont le scénario a inspiré l’écriture de la première nouvelle-titre du recueil. L’Amour, la fantasia (1985), Vaste est la prison (1995), Le Blanc de l’Algérie (1996) et La Femme sans sépulture (2002) sont pour leur part des entreprises d’écriture à la fois historique, autobiographique et romanesque. Dans L’Amour, la fantasia, plusieurs passages descriptifs s’inspirent, quoique plus indirectement que dans Femmes d’Alger, de l’art et de la démarche picturale de Delacroix. Vaste est la prison et La Femme sans sépulture accordent quant à eux une place importante, entre autres, au récit des étapes de tournage qui ont conduit à la production de La Nouba. Le Blanc de l’Algérie, enfin, est un livre pétri par le cinéma et les médias de l’information.

Dans cette optique, nous croyons qu’à travers les textes retenus, la littérature, par les relations qu’elle cultive avec d’autres médias, devient « intrinsèquement intermédiale » (Walter Moser)

L’intermédialité représente « l’ensemble des relations médiatiques variables entre les médias » (Jürgen Ernst Müller). Bien que nous nous intéressions aux diverses modalités des manifestations relationnelles qui s’établissent entre les médias littérature, peinture et cinéma, il reste que notre principal objet d’étude et de travail touche la littérature et non l’intermédialité. Ce qui attire notre attention n’est pas l’intermédialité en tant que telle, mais bien la capacité qu’a la littérature d’acquérir une fonction intermédiale.
Nous souhaitons étudier la manière dont les récits de notre corpus intègrent dans leur contexte diégétique des qualités propres à la peinture et au cinéma. Nous croyons qu’une fois médiatisées dans le texte littéraire, ces qualités acquièrent de nouvelles formes, fonctions et significations.

Cette idée suivant laquelle il peut s’opérer des déplacements de « qualités médiatiques » (Johanne Villeneuve) propres à la peinture et au cinéma dans la littérature nous paraît séduisante. Dans les récits de Djebar, nous pensons, par exemple, que l’écriture peut emprunter à la voix des femmes de La Nouba la qualité de sa fluidité. Mais cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres. Nous aimerions cerner l’ensemble des « qualités » propres à la peinture et au cinéma que l’écriture djebarienne s’approprie. Quelles sont-elles ? En quoi consistent-elles ? Comment survivent-elles à l’épreuve du déplacement intermédiatique ? Autrement dit, une fois arrachées à leur contexte initial et médiatisées dans le texte littéraire, à quel point sont-elles transformées, déformées, réorganisées, redéfinies, recodifiées ? Comment leur configuration première a-t-elle été altérée ? Quelles résistances ont été rencontrées ? Enfin, comment le potentiel d’expression et de narration du médium littéraire djebarien s’est trouvé augmenté en s’enrichissant de nouvelles qualités médiatiques lui permettant de mieux rendre compte du caractère imagé et sonore de la mémoire des Algériennes ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous espérons répondre.

Notre démarche est originale parce qu’elle fait appel à des postulats, à des notions ainsi qu’à des approches théoriques appartenant à l’intermédialité et ce, dans le cadre d’une recherche qui se veut pourtant strictement littéraire. Or cette pratique, non courante en littérature, mérite considération pour les nouvelles opportunités de réflexion qu’elle propose.

Par ailleurs, les jeux intermédiatiques actifs dans les récits de Djebar contribuent à éclairer une esthétique propre à l’écrivaine qui n’a encore jamais été sérieusement étudiée d’un point de vue technique. De plus, ces « jeux » proposent une réflexion d’ordre éthique. En effet, la relation « texte -médias » chez Djebar vise à libérer la musulmane par l’esthétique en lui restituant son droit de parole et de visibilité à même le littéraire, droits brimés dans une société patriarcale qui empêche le sujet féminin de s’exprimer et de se montrer au nom d’un islam déformé…

Le sommaire que dévoile la quatrième page de couverture du livre Loin de Médine de Djebar (Paris, Albin Michel, 1991), accompagné de quelques éloquentes critiques, l’illustre fort bien. Nous nous permettons d’en citer les grandes lignes :

« […] Assia Djebar nous transporte à Médine, à la mort du Prophète. Et c’est des femmes qu’elle nous parle, nombreuses et influentes dans l’entourage du fondateur de l’Islam […]. Nous découvrons les figures d’une histoire ignorée, oubliée : reines de tribus, prophétesses, femmes chefs de guerre dans une Arabie en effervescence. Fatima, fille du Prophète, fière et indomptable, se dresse en Antigone arabe, tandis qu’Aïcha, sa jeune veuve, s’installe dans son rôle de « diseuse de mémoire ». Bien d’autres encore, femmes de La Mecque, affranchies, errantes, mêlent leurs voix et se souviennent. Roman historique, chronique, épopée : ce livre puissant, inspiré, restitue aux femmes une place volée ou tue à la source de l’Islam.” Une magnifique leçon d’histoire à ceux qui veulent dévaloriser la femme musulmane (Sophie Boukhari, Jeune Afrique) ” […] ».