Radu Dobrescu

Positions held

2007-2008 to 2008-2009 Postdoctoral researcher(s),

Biography

Boursier postdoctoral du CRSH
Ph. D. en science politique, Université Laval

Durant mon séjour postdoctoral au CREUM (financé par le CRSH), j’ai travaillé à un projet de recherche intitulé Démocratie arithmétique, démocratie algébrique. Modèles formels et théorie normative. Il s’agissait de réinvestir, sinon de réaménager le débat en cours autour de la démocratie (agrégative libérale, agrégative épistémique, délibérative) à partir de la récupération interprétative de la distinction rousseauiste entre volonté de tous et volonté générale et, à l’inverse, de confronter le dépassement de la volonté de tous par la volonté générale envisagé par Rousseau aux deux tentatives actuelles (épistémique, délibérative) de dépasser la volonté de tous libérale, le modèle longtemps dominant de l’agrégation des préférences, pour retrouver une volonté générale condorcetienne ou/et formée discursivement.

Depuis plus de 200 ans, la distinction rousseauiste entre volonté de tous et volonté générale est au coeur de la théorie démocratique, mais la manière dont Rousseau lui-même l’a pensée est restée largement méconnue : il nous l’a léguée comme tâche réflexive à travers un véritable casse-tête mathématique – je fais référence au fameux passage du Contrat social où Rousseau introduit cette distinction selon une analogie mathématique réputée impénétrable, sinon obscure. Ignorée, expédiée comme « fuzzy maths » (Honig, Benhabib) ou « sheer nonsense » (Plamenatz), mésinterprétée dans les termes (pareto-optimaux) de la théorie des jeux (Runciman & Sen) ou dans ceux (épistémiques) du théorème du jury de Condorcet (Grofman & Feld), etc., cette analogie mathématique reste encore impensée dans la théorie démocratique.

Dans ma thèse de doctorat – Démocratie arithmétique, démocratie algébrique. Rousseau, la volonté générale et les (petites) différences – j’ai cherché entre autres à penser cette analogie en raffinant l’interprétation lumineuse mais insuffisante de Philonenko. La volonté générale émerge de ce dont elle est distincte – la volonté de tous, collection de volontés particulières ne regardant qu’à l’intérêt privé – comme intégrale, c’est-à -dire comme totalisation (intégration) de tous les moments infinitésimaux constitués par ces volontés particulières à travers la somme algébrique de leurs nombreuses petites différences. La volonté de tous se sépare (et s’empare) de la volonté générale si la même collection de volontés particulières se polarise (des groupes se forment en vue d’un vote, par exemple) : la finesse de l’algèbre laisse la place à la grossière arithmétique, au découpage massif des nombreuses petites différences intersubjectives en petit nombre de grandes différences, sinon en grande différence unique. Le raffinement que j’ai proposé a consisté à mieux asseoir l’opposition des procédés (arithmétique versus algébrique) de sommation des différences intersubjectives (inclure par exemple dans le domaine arithmétique un vote non précédé par la coagulation des groupes) et surtout à opérationnaliser le procédé algébrique de la volonté générale comme procédure à suivre concrètement.

(Dans le Contrat social, cette nébuleuse solution mathématique est de surcroît brouillée par trois autres solutions contradictoires : épistocratique (le Législateur), rustique (l’unanimité spontanée des troupes paysannes), épistémique (la majorité a toujours raison). Dans la thèse, après avoir montré que l’espace de tensions que dessinent les quatre solutions recommande, de par sa logique même, une médiation en son sein à partir de la solution mathématique, j’ai entrepris proprement dit une telle médiation dans le but de reconstruire une théorie générale de la volonté générale chez Rousseau. À l’opposé des lectures épistémiques du Contrat social qui intègrent la solution mathématique (incomprise) dans la solution épistémique, j’ai proposé donc une médiation entre les deux dans les termes de l’intégrale (ainsi élargie au niveau de son input).

Pour revenir au projet, il s’agit d’une part de repenser l’opposition entre l’agrégatif (libéral, épistémique) et le délibératif comme opposition entre l’arithmétique et l’algébrique, entre autres en suggérant, à contre-courant de la mauvaise presse délibérativiste qu’a généralement Rousseau, des affinités inattendues (algébriques) entre l’intégrale opérationnalisée et l’opération d’un schéma plus proprement délibératif. Dans cette architecture nouvelle assurant l’intertraductibilité du langage actuel de la gestion des préférences et du langage rousseauiste de la gestion des différences, il s’agit d’autre part d’interroger proprement dit le travail de l’intégrale sous l’angle même des principaux arguments (épistémique et respectivement moral et épistémique) mobilisés dans le plaidoyer en faveur des deux dépassements entreliés (intra-agrégatif/condorcetien et respectivement délibératif) de la volonté de tous libérale.

L’horizon d’une telle entreprise est de consolider, en le reformulant en termes algébriques, le double argument pour la démocratie délibérative, mais aussi de l’élargir comme argument pour la démocratie algébrique, en se fiant peut-être moins « au pouvoir déchaîné de la communication » (Habermas) qu’à celui, pas moins déchaîné, des procédures algébriques, les seules à pouvoir reconnaître et déployer la valeur morale et épistémique des différences intersubjectives.

C’est introduire autrement Rousseau dans le circuit des théorisations actuelles de la démocratie, replacer celles-ci dans un horizon qui serait plus intimement le leur, les repenser et relancer — selon l’opposition de l’arithmétique et de l’algébrique.

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Télécharger l’article en pdf:Les mathématiques de la volonté générale chez Rousseau et les débats actuels sur la démocratie épistémique


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