Les investissements socialement responsables: Une solution réellement efficace?

Plusieurs professionnels des milieux financiers se demandent si les pratiques propres aux investissements socialement responsables (ISR) sont efficaces. Ces pratiques peuvent-elles transformer le comportement des entreprises « non responsables » ? Un récent article du magazine The New Republic recense quelques-unes des critiques les plus courantes entourant l’ISR. Voici l’occasion de soulever certains enjeux propres à ce champ théorique.Vendredi le 26 janvier 2007, par Philippe Bélanger

L’article (voir Moral Failure, 16 janvier 2007) débute avec un sujet controversé, et non le moindre. Il est ici question des 35 milliards $US investis dans la fondation de Bill & Melinda Gates. Cette organisation caritative (la plus riche au monde) déploie de nombreux efforts afin de venir en aide aux populations défavorisées du globe. À grandes lampées de dons et de programmes divers, elle distribue les recettes générées par son titanesque capital d’investissement. Il semblerait cependant que la fondation souffre de schizophrénie institutionnelle. D’un côté, elle tente de régler les misères du pauvre monde et de l’autre, elle en alimente l’indigence :

Since 1998, the Gates Foundation has donated $1.2 million to a Seattle nonprofit that helps victims of predatory lending while at the same time investing over $2 million in securities from Ameriquest, one of the area’s worst predatory lenders. In the Niger Delta, meanwhile, the foundation has spent millions on immunizations for destitute Africans while pouring many more millions into oil companies like Exxon Mobil and Chevron, which have been poisoning the region with emissions from unregulated gas flares.

Face à ce scandale, l’auteur se demande, avec raison, dans quelle mesure l’ISR ne serait pas une façade ou encore une illusion cosmétique ayant finalement bien peu d’impact.

Avant de remettre en question l’efficacité de ISR, il faut d’abord en clarifier les pratiques. De quoi parle-t-on au juste ? Principalement de trois techniques :

-#De filtres d’investissements permettant d’inclure ou d’exclure des entreprises d’un portefeuille d’investissement en fonction de critères moraux.
-#D’actionnariat engagé qui utilise les pouvoirs spécifiques aux actionnaires (droit de vote et propositions d’actionnaires) en fonction de critères éthiques.
-#L’investissement communautaire accordant un financement privilégié à certains projets spécifiques qui ne bénéficient pas des voies de la finance traditionnelle.

Cette critique du caractère cosmétique de l’ISR suscite chez moi deux réactions opposées.

Premièrement, l’article commet une erreur classique en confondant les pratiques de charité et d’ISR. À bien des égards, l’investissement communautaire peut ressembler à de la charité mais en réalité, ce n’est absolument pas le cas. L’investissement communautaire, contrairement aux dons, prévoit des modalités de remboursement accompagnées d’une certaine marge de bénéfices pour l’investisseur.

Deuxièmement, l’article soulève (avec raison) la question de la cohérence morale des organisations. Afin d’être moralement conséquente, la fondation caritative des Gates ne devrait-elle pas resserrer ses critères d’investissement et, à tout le moins, utiliser certains filtres d’investissements? Adjoindre à ses activités charitables une stratégie d’ISR plus intégrée? Pour ce faire, doit-on d’abord démontrer l’impact des filtres d’investissements sur les agissements des entreprises ou bien admettre qu’il s’agit là d’une contrainte morale raisonnable?

À suivre…