
Le pouvoir dans l’Anthropocène : violence, injustice et migration climatiques
2910 Édouard-Montpetit
Montréal
Colloque annuel des boursier-ères 2024-2025 du Centre de recherche en éthique (CRÉ).
Le pouvoir dans l’Anthropocène : violence, injustice et migration climatiques
Dès l’essor des mouvements écologistes contemporains et la publication des premières recherches sur les changements climatiques et la dégradation des écosystèmes (Carson, 1962; Commoner, 1971; Dumont, 1973; Meadows et al., 1972; Schumacher, 1973), la philosophie a tenté de conceptualiser et de problématiser la genèse et les conséquences de ces phénomènes, et de réfléchir à d’éventuelles manières d’y remédier. Plus récemment, le concept d’Anthropocène (Crutzen, 2002) et ses nombreux dérivés, tels que Capitalocène et Plantationnocène (Haraway, 2015) ont été fréquemment adoptés par les sciences sociales pour théoriser la singularité de la conjoncture présente. Un lien important entre nombre de travaux mobilisant ces concepts est celui de la réflexion sur le pouvoir. Comment notre maîtrise sur la nature nous définit-elle en tant qu’humains? Comment différents groupes produisent, préviennent, subissent ou résistent au changement (et comment devraient-ils le faire)? C’est à l’aune de cette dernière question que ce colloque s’intéressera au réexamen de concepts éthiques et politiques fondamentaux qui se produit à l’ère des changements climatiques et de la dégradation des écosystèmes.
D’une part, la responsabilité et les impacts différenciés des changements climatiques ont amené à s’interroger sur les formes de tort et d’injustice qui sont à l’origine ou qui découlent de ces phénomènes. Pour ce faire, les concepts de violence structurelle (Arenas-Garcia, 2024; Bonds, 2016), d’injustice structurelle (Eckersley, 2016; Heilinger et Kempt, 2020; Keij et van Meurs, 2023) et de violence lente (Nixon, 2013) ont été mobilisés afin de caractériser l’évolution des rapports sociaux et politiques à l’ère des changements climatiques (Boscov-Ellen, 2020; Cappelli, 2023). Le concept d’injustice structurelle, en particulier, a été appliqué à l’enjeu des migrations climatiques (Dwyer, 2020), ouvrant de nouvelles voies aux débats sur les frontières, la citoyenneté et les migrations. L’étude des mouvements migratoires est d’ailleurs apparue comme un terrain fertile pour penser des recours qui permettraient de rétablir une certaine forme de justice pour les plus affectés par les changements climatiques, notamment par la mise en place de “droits à la mobilité” (Marshall, 2015), de “droits à l’empowerment” (Drydyk, 2013) ou encore par la réévaluation de nos cadres de réflexion éthiques et politiques (Keyserlingk, 2018).
D’autre part, cette préoccupation a amené à s’interroger sur les formes d’actions à adopter pour lutter contre les changements climatiques et les manières de s’adapter à leurs conséquences dans un contexte marqué par l’inertie de certains des États et entreprises les plus polluants. Un ensemble multidisciplinaire de chercheurs et de chercheuses se sont ainsi intéressés aux formes d’action auxquelles peuvent légitimement recourir les mouvements écologistes afin d’ébranler le statu quo. Ces derniersont par exemple proposé de réinvestir, voire de dépasser le concept de désobéissance civile (Garcia-Gibson, 2021; Welchman, 2001) et de résistance (Caygill, 2019), notamment en les mettant en relation avec différentes formes d’action directe (Kurtz, 2020; Parkin, 2020) et plus spécifiquement de sabotage (Arridge, 2023; Malm, 2021; McLaughlin, 2023), et en interrogeant son rapport à la violence (Anfinson, 2023). D’autres chercheurs et chercheuses se sont pour leur part intéressés aux formes d’action permettant de remédier à la fois aux changements climatiques ainsi qu’aux torts et injustices qui s’y rattachent (Akinsemolu et Olukoya, 2020; Boscov-Ellen, 2020; Cappelli, 2023).
Ce colloque vise ainsi à interroger les apports et les limites des concepts éthiques et politiques pour réfléchir conjointement les torts et injustices que suscitent les changements climatiques et la dégradation des écosystèmes, ainsi que les formes d’action permettant d’y remédier. Plus précisément, il aimerait proposer d’interroger la manière dont ces concepts permettent ou échouent à se ressaisir d’un ensemble d’enjeux relatifs à la violence, à l’action politique, à l’immigration, au colonialisme, à la justice internationale et intergénérationnelle au prisme de considérations écologiques.
Organisation
Clara Dallaire, Léon Gatien, Nicolas Lacroix, Valérie Lafond, Roxanne Lépineet Romeo Moungang.
Références
Akinsemolu, A. A. et Olukoya, O. A. P. (2020). The vulnerability of women to climate change in coastal regions of Nigeria: A case of the Ilaje community in Ondo State. Journal of Cleaner Production, 246, 119015. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2019.119015
Anfinson, K. (2023). Climate Change and the New Politics of Violence. Dans Violence. Routledge.
Arenas-Garcia, N. (2024). Unpacking the Linkages between Structural Violence and the Climate Crisis. Environmental Ethics. https://doi.org/10.5840/enviroethics202491282
Arridge, A. S. (2023). Should We Blow Up a Pipeline? Environmental Ethics, 45(4), 403‑425. https://doi.org/10.5840/enviroethics202382863
Bonds, E. (2016). Upending climate violence research: Fossil fuel corporations and the structural violence of climate change. Human Ecology Review, 22(2), 3‑23. https://doi.org/10.3316/informit.324306883375423
Boscov-Ellen, D. (2020). A Responsibility to Revolt? Climate Ethics in the Real World. Environmental Values, 29(2), 153‑174. https://doi.org/10.3197/096327119X15579936382617
Cappelli, F. (2023). Investigating the origins of differentiated vulnerabilities to climate change through the lenses of the Capability Approach. Economia Politica, 40(3), 1051‑1074. https://doi.org/10.1007/s40888-023-00300-3
Carson, R. (1962). Silent Spring. Houghton Mifflin.
Caygill, H. (2019). Slow Violence and the Limits of Eco-resistance. Philosophical Journal of Conflict and Violence, 3(1), 1‑7.
Commoner, B. (1971). The Closing Circle : Nature, Man & Technology. Random House.
Crutzen, P. J. (2002). Geology of mankind. Nature, 415(6867), 23‑23. https://doi.org/10.1038/415023a
Drydyk, J. (2013). Development Ethics and the « Climate Migrants ». Ethics, Policy & Environment: A Journal of Philosophy and Geography, 16(1), 43‑55.
Dumont, R. (1973). L’Utopie ou la Mort. Seuil.
Dwyer, J. (2020). Environmental migrants, structural injustice, and moral responsibility. Bioethics, 34(6), 562‑569. https://doi.org/10.1111/bioe.12738
Eckersley, R. (2016). Responsibility for Climate Change as a Structural Injustice. Dans T. Gabrielson, C. Hall, J. M. Meyer et D. Schlosberg (dir.), The Oxford Handbook of Environmental Political Theory (p. 0). Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199685271.013.37
Garcia-Gibson, F. (2021). Undemocratic Climate Protests. Journal of Applied Philosophy, 39(1), 162‑179. https://doi.org/10.1111/japp.12548
Haraway, D. (2015). Anthropocene, Capitalocene, Plantationocene, Chthulucene: Making Kin. Environmental Humanities, 6(1), 159‑165. https://doi.org/10.1215/22011919-3615934
Heilinger, J.-C. et Kempt, H. (2020). Loss and Damage, and Addressing Structural Injustice in the Climate Crisis. Ethics, Policy & Environment, 0(0), 1‑15. https://doi.org/10.1080/21550085.2024.2387999
Keij, D. et van Meurs, B. R. (2023). Responsibility for Future Climate Justice: The Direct Responsibility to Mitigate Structural Injustice for Future Generations. Journal of Applied Philosophy, 40(4), 642‑657. https://doi.org/10.1111/japp.12674
Keyserlingk, J. G. (2018). Immigration Control in a Warming World: Realizing the Moral Challenges of Climate Migration. Immigration Control in a Warming World: Realizing the Moral Challenges of Climate Migration. Imprint Academic. https://www.proquest.com/philosophersindex/docview/2159311298/18BBE97824854516PQ/2?sourcetype=Books
Kurtz, R. M. (2020). Direct Action and the Climate Crisis: Interventions to Resist and Reorganize the Metabolic Relations of Capitalism. Radical Philosophy Review, 23(2), 261‑297. https://doi.org/10.5840/radphilrev2020813114
Malm, A. (2021). How to Blow Up a Pipeline. Verso.
Marshall, N. (2015). Toward Special Mobility Rights for Climate Migrants. Environmental Ethics: An Interdisciplinary Journal Dedicated to the Philosophical Aspects of Environmental Problems, 37(3), 259‑276.
McLaughlin, A. (2023, 1 octobre). « Attacking the Things that Consume Our Planet »: Civil Disobedience, Direct Action and Climate Change [SSRN Scholarly Paper]. Social Science Research Network. https://doi.org/10.2139/ssrn.4589366
Meadows, D. H., Meadows, D. L., Randers, J. et Behrens III, W. W. (1972). The Limits to Growth. The Club of Rome.
Nixon, R. (2013). Slow Violence and the Environmentalism of the Poor. Harvard University Press.
Parkin, S. (2020). Resistance is fertile: Direct action vs. fossil fuels across North America. Dans Climate Justice and Community Renewal. Routledge.
Schumacher, E. F. (1973). Small is Beautiful : A Study of Economics As if People Mattered. Blond & Briggs.
Welchman, J. (2001). Is ecosabotage civil disobedience? Philosophy & Geography. https://doi.org/10.1080/10903770124815
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